Archives quotidiennes : 21 mars 2024

‘’Les Femmes naissent deux fois’ de Yûzô Kawashima…

Film ignoré en France, comme son réalisateur, totalement inconnu. C’est pourquoi ‘’Les Fondus Déchaînés’’ ont eu bien raison de ressortir ce film, difficile dans sa compréhension, mais bigrement intéressant!

On a, au travers de ce film, un magnifique portrait de femme, tout en ambiguïté,

En 1961, les maisons closes sont désormais interdites au Japon depuis trois ans, de même que la prostitution. Comme il en va toujours dans ces cas-là, ni la pratique, ni même en l’occurrence l’institution, ne disparaissent à coup de décret. Cette adaptation de Tsuneo Tomita s’ouvre dans une auberge qui est aussi officieusement une maison de passes peuplée d’« hôtesses », pouvant contre échange marchand accorder une nuit d’intimité à certains clients. C’est ce que fait Koen, geisha dont le nom est aussi celui d’une artiste (le film sera l’occasion d’entendre l’actrice chanter). Si elle se prostitue, ses fonctions ne se résument pas exactement à celles d’une travailleuse du sexe, ni même d’une escort (son protecteur principal requérant ses services en premier lieu comme trophée social dans des situations mondaines). C’est toute l’ambiguïté de la geisha qui est, mais n’est pas uniquement, une prostituée. Figure anachronique, mais par certains aspects moderne, Koen est ce personnage qui hante peinture, puis littérature et cinéma japonais depuis l’Ère Edo : la femme publique, qui expose par ses propres contradictions celles de la société qui l’a produite et requiert les faveurs dont celle-ci a cultivées l’ « art » chez elle. (DVDCLASSIK)

Difficile de comprendre, de suivre l’évolution de la jeune femme. Tout le film est une succession de séquences, qui nous montrent les contradictions dans lesquelles elle vit et, pour essayer de trouver les clés, il est nécessaire de recontextualiser. Nous sommes dans le Japon d’après guerre, c’est-à-dire d’après la défaite et on est passé très rapidement de la tradition à la modernité économique et consumériste du capitalisme triomphant. Passant des bras d’un homme à ceux d’un autre, elle va évoluer. Evidemment les hommes ne sont pas gâtés, tous plus veules les uns que les autres, mais les geishas ont l’air de bien s’accoutumer. Koen est particulière, en ce sens qu’elle semble vouloir échapper à sa condition. Evidemment, le film est tout de même très daté, toutes les scènes de sexe sont totalement -sagement ?- évacuées. Par contre, les cadrages montrent bien l’enfermement de la geisha, qui passe son temps à faire coulisser les fenêtres, pour isoler les relations sexuelles tarifées.

Comment va-t-elle continuer à évoluer? On ne le saura guère, dans la mesure où le film se termine en queue de poisson, très brutalement, sur une fin très ouverte.

Dernière ambiguïté peut-être, le titre du film… Voici ce que j’ai trouvé :

Qu’est-ce que la double-naissance féminine suggérée par le titre ? Celle d’une défloraison ? D’un rachat par le mariage ? Ou au contraire d’un affranchissement des structures patriarcales ? D’une éventuelle émancipation par le travail salarié, par opposition avec la position d’être entretenue ou de proposer son corps à la vente (en mettant de côté l’idée que la plupart des reproches adressables à la prostitution le sont aussi au salariat – et ceux faisables à l’entretien à l’assistanat) ? D’une révélation amoureuse ou artistique ? C’est à Koen qu’il appartient de savoir en quoi consistera (ou a carrément déjà consisté) sa renaissance, une réinvention. Ce qu’il nous est permis d’entrevoir est sa manière, pour la première fois, de côtoyer un homme en égale. Indécidable, inassignable, elle est libre d’être qui elle est, de résister placidement à nos attentes et projections, comme si sa révolte consistait précisément à n’en exprimer aucune. C’est là peut-être ce qu’elle a de plus moderne sous ses atours traditionnels, cette insaisissabilité – il en va de même du cinéaste placide qui la filme. (DVDCLASSIK) Bon, cela vaut ce que ça vaut…

En tout cas, comme dit plus haut, ‘Les Femmes naissent deux fois’ est un film passionnant, qui, s’il pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses, donne une excellente image, morale et politique, du Japon d’après-guerre!