Archives mensuelles : Mai 2023

   « Le Principal » de Chad Chenouga…

   C’est incontestable, Roschdy Zem est un extraordinaire acteur, tant par la sensibilité de son jeu que par sa capacité à interpréter des rôles très éloignés les uns des autres; son registre est très étendu. Pour « Le Principal« , on peut dire que sa présence sauve le film, plombé par un scénario peu crédible dans ce qu’il raconte et par les clichés qu’il véhicule.

   A titre d’exemples, la relation principale/principal adjoint, le fait que, comme dans de nombreux films actuellement, on se demande pourquoi des couples séparés sont, justement, séparés, tant ils mettent d’efforts à se retrouver, les relations principal adjoint/enseignants et, pire encore, l’épisode de tricherie au bénéfice de son fils. Sérieusement, quand on sait ce qu’est le Brevet des Collèges, que la plupart des élèves ont déjà obtenu, grâce au contrôle continu, avant de passer les épreuves, il est difficilement imaginable qu’un principal adjoint mette sa carrière en jeu, à moins d’être totalement à côté de ses pompes. Encore pire, qu’un principal adjoint -qu’un homme tout simplement!- en vienne, pour préserver sa carrière, à demander à son fils d’endosser la responsabilité de la forfaiture, c’est toujours et encore plus proprement inconcevable. Que l’histoire se soit inspirée d’un fait réel ne change rien à l’affaire, le film en tant que tel narre une histoire à laquelle on ne croit pas. Quant aux clichés, le film ne les évite pas toujours, les profs qui ne partent pas en cours lorsque la sonnerie retentit, et surtout les réflexions acerbes du principal adjoint, ses critiques constantes à l’égard d’enseignants nuls et tire-au-flanc, et puis la banlieue, d’où est d’ailleurs issu le principal adjoint, avec des individus qui ne font rien, qui envient sa réussite et ne rêvent que de le tabasser. Ajoutons à cela la rigidité du personnage, droit dans ses bottes, son monolithisme, cela fait tout de même beaucoup, d’autant que le personnage est très chargé, qui a, en plus, à charge, un frère au psychisme très fragile!

   Décidément, heureusement que Roschdy Zem est là, qui fait passer tout cela grâce à un jeu paradoxalement très nuancé. Grâce à lui, on suit cette histoire, si l’on exclut les réserves précédentes, sans déplaisir. Mais, finalement, -cela s’est d’ailleurs souvent vérifié!- faire un film sur l’école, sur l’institution scolaire, est très casse-gueule et très délicat, quand on n’appartient pas au sérail!


   « Showing Up » de Kelly Reichardt…

    De Kelly Reichardt, je ne connaissais que « Night moves » et, surtout, « First Cow« , au moins deux raisons suffisantes pour s’intéresser à son dernier opus.

   Eh bien, « Showing Up » laisse perplexe, pour ne pas dire extrêmement déçu. Naturellement, quand on y réfléchit bien, on retrouve dans ce dernier film les caractéristiques du cinéma de Kelly Reichardt, le scénario minimaliste, les dialogues, d’une banalité éprouvante, et puis, et surtout, l’extrême lenteur du film qui se déroule sur un rythme de sénateur revendiqué et l’extraordinaire durée de chaque plan. Mais, autant les deux premiers avaient des enjeux, autant là, on n’en sait trop rien, parce qu’il ne se passe rien, ou si peu!

    Cette fois, Kelly Reichardt nous entraîne dans une communauté artistique de Portland, où, naturellement, oserais-je dire!-, tout le monde est créatif… Par contre, on ignore si le point de vue de la cinéaste est délibérément satirique, ce que l’on pourrait croire dans certaines séquences burlesques, ou si elle a de l’empathie pour ses personnages. Il y a probablement un peu des deux.

   Les personnages sont dans l’ensemble constamment constipés, particulièrement l’héroïne, qui montre à l’écran, en gros plan comme de loin, le visage d’une femme sortant -ou entrant,  c’est du pareil au même!- en pleine dépression. Sauf erreur de ma part, elle ne sourit, en tout et pour tout, qu’une seule fois, lorsque son père a l’air d’apprécier son expo et ses créations. D’ailleurs, tous les autres personnages ont l’air frappé du même mal, si bien que, parfois, on a un doute: serait-on dans une clinique psychiatrique, où l’on soigne les malades par la création artistique? On est toujours dans le même petit cercle fermé, où les expositions n’attirent que les autres créateurs ou les familles des artistes. Alors, évidemment, cela entraîne des scènes burlesques ou, au moins, qui font sourire. En outre, les thèmes essentiels du film restent tout de même un pigeon blessé, qui, en tant qu’adjuvant encombrant, occupe une place énorme, ainsi qu’une douche désespérément froide. Bon, là, on s’amuse un peu si l’on s’en tient à cette hypothèse…

   Par contre, par moments, on a de sacrés doutes! Si le film est à prendre au premier degré, c’est-à-dire, si « Showing Up » est une réflexion, très pensée, très réfléchie, sur la création artistique, le film devient totalement imbuvable et ne s’adresse qu’à un public confirmé, spécialiste d’art contemporain, vous savez les gens que l’on rencontre dans les expositions et qui, vous prenant de très haut, vous font comprendre que vous ne comprenez rien à l’art. Le film alors tombe dans le snobisme le plus total, accumulant les métaphores absconses et nous montrant des personnages se prenant très au sérieux et prenant des mines, minaudant entre deux morceaux de fromages (Vous reprendrez bien un peu de ce délicieux breuvage, très chère!).

   Hélas, je ne suis pas sûr que le film ne va pas dans cette direction-là… En tout cas, mis à part quelques morceaux jouissifs, on s’ennuie poliment pendant presque deux heurs et c’est bien regrettable…


L’IMPOSTURE

BIG UP COMPAGNIE

   BLEU PLURIEL   02 05 2023

   A l’origine, le spectacle n’était pas prévu à Bleu Pluriel et il est venu se rajouter à la programmation. Il s’agit probablement d’une proposition de dernière minute du Festival Marionnet’Ic:

https://www.marionnetic.com/

   En tout cas, nous voilà partis pour un spectacle de marionnettes…

   Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on a été totalement désarçonné. En fait il semblerait bien qu’il s’agisse d’un stand-up, ou, pour parler français, d’un seule en scène, c’est d’ailleurs ce que confirme la jeune femme sur scène. Et les marionnettes alors? Ben, on verra bien. La jeune femme, forte femme aux formes imposantes, nous met tout à fait à l’aise -enfin, si l’on peut dire!- et nous explique qu’il y a trois thèmes dans son seule en scène, auxquels il faut nous reporter, si, à un moment ou à un autre, on est perdu: elle est grosse, lesbienne et marionnettiste. Bon, au moins ça, c’est fait et on est au parfum et l’on commence à s’intéresser de plus en plus à la performance de la jeune femme, non seulement qui joue avec son corps, mais qui l’assume totalement. C’est bien la première fois que je vois une actrice, grosse, disons-le, qui prend son physique, pas franchement dans l’air du temps, où les top-modèles sont les références des jeunes filles et où la maigreur est l’idéal à atteindre, comme sujet de son seule en scène. Un seule en scène pas très compliqué, puisqu’il raconte la vie -et l’œuvre- de Lucy Hanoy, la comédienne sur scène! Alors, thérapie ou spectacle? Spectacle évidemment et d’une drôlerie extraordinaire. La comédienne ne nous laisse pas le temps de souffler et nous narre – nous joue plutôt- quelques-unes de ses expériences: la jeune fille qui range sa chambre, la grosse qui va acheter des vêtements, la marionnettiste qu’elle est devenue arrivant dans un établissement scolaire pour animer un atelier avec un petit groupe de terminales et qui se retrouve avec trente bambins de maternelle, à cause de la plus grande désinvolture de la personne à l’origine du projet. Bref, c’est très, très drôle, d’autant que l’artiste est extraordinairement douée pour faire rire. Son spectacle est sans arrêt dans l’énergie, très corporel, très physique avec des musiques très pertinentes, des éclairages magnifiques. Bref, le spectacle est magnifique, d’autant que l’émotion, sous la dérision, est parfois au rendez-vous et que les marionnettes, eh bien, elles sont bien là et interviennent à bon escient. Et puis, qualité essentielle du spectacle, la comédienne va jusqu’au bout de son idée, jusqu’à se déshabiller totalement sur scène, ce qui n’a rien de choquant, au contraire: dans la mesure où son corps est en grande partie le thème central du spectacle, il était totalement évident qu’on en arriverait là!

   Grande soirée donc, à laquelle, il faut le répéter on ne s’attendait guère tant le spectacle est original et d’une très grande qualité, d’une très grande sincérité, d’une très grande authenticité et -c’est bien là l’essentiel- d’un comique irrésistible!

https://www.ateliersmedicis.fr/le-reseau/acteur/lucie-hanoy-8708


 « Burning Days » de Emin Alper…

   Formidable film que ce « Burning Days » de Emin Alper. Tout de suite, on pense, quant à l’atmosphère, quant à l’ambiance, à des films comme « Les Chiens de paille (Straw Dogs) » de Sam Peckinpah, « La Isla Minima » de Albert Rodriguez et à de nombreux films américains traitant de la violence de la foule. « Burning Days » est un film turc -et c’est important de le savoir pour la compréhension du film-, mais -et c’est tout aussi important de le savoir!- il a également une portée universelle dans ses analyses des comportements humains.

   Nous sommes en Anatolie, dans une petite ville turque du trou du cul du monde. Un jeune procureur, tout frais émoulu de son école de la magistrature, arrive tout feu tout flamme avec

une haute idée de sa fonction et bien décidé à faire appliquer la loi dans toute sa rigueur, d’autant que son prédécesseur a disparu précipitamment sans laisser d’adresse. On pense évidemment à certains westerns où le shérif, chargé de faire respecter la loi, doit affronter la vindicte populaire.

   Evidemment, nous ne sommes pas à la même époque, mais les problématiques sont les mêmes. Ici on peut caractériser le film comme étant un thriller. Il fait chaud, il fait très chaud, le problème de l’eau est crucial, tous les personnages transpirent sous la canicule, l’atmosphère est poisseuse et le film est angoissant, tant on sent bien qu’à tout moment la violence peut exploser. La tension est totale pendant tout le déroulé du film. Le film fonctionne sur le rythme, échevelé, qui maintient la pression en permanence. Les analyses concernant les phénomènes de foule, prêtes à aller jusqu’au lynchage, sont particulièrement pertinentes.

   Autre aspect du film, son côté politique et sociologique. On imagine volontiers que le film a été fort mal accueilli en Turquie, pays gangrené par la corruption, par la manipulation des foules par le pouvoir en place, par la collusion entre notables et institutions. En outre le film est d’une très grande richesse, dans la mesure où il aborde, sans les considérer comme anecdotiques, des sujets brûlants, peignant cette société patriarcale telle qu’elle est, montrant le machisme, le »virilisme » des personnages masculins, sûrs de leur impunité. La condition féminine, la liberté des femmes, le viol considéré comme une aimable distraction, sont montrés comme des composantes essentielles du film. Quant à l’homosexualité sous-jacentes, thème récurrent dans le film, on imagine combien elle a pu choquer en Turquie, pays qui considère cela comme un sujet tabou. Enfin, il n’oublie pas le racisme ambiant à l’égard des minorités ethniques, ici en particulier les Gitans.

   « Burning Days« , tout en étant un thriller aussi passionnant qu’haletant, est aussi un grand film éminemment politique, d’une très grande force et d’une très grande qualité!